NEUVIÈME PARTIE
Création de la ligne télégraphique de paris à Strasbourg.
- la télégraphie sous le directoire.
- établissement de la ligne de paris à Brest.
- la télégraphie sous le consulat et sous l’empire.
- la loterie et le télégraphe.
Après avoir créé la ligne de Paris à Lille, le Comité de salut public décréta, le 12 vendémiaire an III, l’exécution de la ligne destinée à relier la capitale à nos frontières à l’est, c’est-à-dire à Landau (Bavière).
Le Comité de salut public trouvait que le passage des dépêches sur la ligne de Paris à Lille se faisait avec trop de lenteur. Il avait été prouvé, en effet, que la moitié seulement des dépêches déposées arrivait en temps opportun. Le vice de cette ligne, c’était le trop grand éloignement des stations : elles étaient à 14 kilomètres l’une de l’autre. Le vocabulaire avait également besoin d’être modifié.
Chappe se prépara à tenir compte des observations que la pratique avait révélées, et à modifier ses plans en conséquence. Il fit nommer ses frères Ignace et François comme ses adjoints, et installa la nouvelle administration du télégraphe, dans un local spécial, l’hôtel Villeroy, qui était situé rue de l’Université, no 9. Cette maison a été démolie sous Louis-Philippe, pour le percement de la rue Neuve-de-l’Université.
Un atelier de menuiserie, un atelier de serrurerie pour la construction des appareils, et un magasin central, furent établis à l’hôtel Villeroy, en même temps que tout un service de bureaux, composé de commis, expéditionnaires, dessinateurs, etc.
La ligne de Paris à la frontière d’Allemagne passait par Châlons, Metz, Strasbourg et Landau. Mais les désordres financiers et les difficultés politiques du temps devaient beaucoup retarder l’exécution de cette ligne, qui ne fut pas poussée plus loin que Strasbourg.
Les travaux de Paris à Metz marchaient assez bien ; mais partout ailleurs, ils rencontraient toutes sortes de difficultés. Malgré les réquisitions ordonnées par le Comité de salut public, les matériaux étaient très-difficiles à rassembler, et il fallut souvent user d’expédients. On manquait, par exemple, de fils de laiton : Chappe imagina de les remplacer par les cordes de métal qui servaient à suspendre les lampes, dans les demeures aristocratiques. Il obtint ainsi l’autorisation de s’approvisionner du matériel à sa convenance dans les magasins où se conservaient les mobiliers confisqués comme biens nationaux. Il s’empara ainsi de grandes quantités de plomb, de fer, de cordes, de bois secs, etc. Le bois vert que l’on prenait dans les forêts de l’État n’était pas bon à grand chose ; on échangea ces bois verts contre des bois secs renfermés dans les magasins de l’Arsenal.
Mais le manque d’argent était un vice irrémédiable. Les employés de la ligne de Lille, qui recevaient 6 livres d’assignats par jour, mouraient de faim. On leur accorda, ainsi qu’aux employés de la ligne de l’Est, une ration en nature, composée d’une demi-livre de viande et d’une livre et demie de pain chaque jour.
Le Comité de salut public ne s’arrêtait pas devant de tels obstacles. Malgré l’interruption des travaux, il ordonna que la ligne télégraphique de Lille serait prolongée jusqu’à Ostende d’un côté, et jusqu’à Bruxelles de l’autre. Les armées de la Convention avaient envahi la Belgique, ne fallait-il pas pousser les télégraphes jusqu’à la nouvelle frontière ?
Mais la Convention nationale avait terminé sa mission glorieuse. Elle se sépara le 4 brumaire an IV.
Le Directoire, après avoir rétabli les ministères, plaça les télégraphes dans les attributions du ministère de la guerre.
La télégraphie était dans un triste état, lorsque le Directoire prit les rênes du gouvernement. Le manque de fonds paralysait tout son essor. La dépréciation des assignats était devenue telle, que 100 livres en papier ne valaient pas 4 sous, tandis que le prix des objets de consommation augmentait dans des proportions effrayantes.
Le Directoire, sous l’impulsion de Carnot, toujours attentif à l’administration qu’il avait fondée, s’intéressait pourtant à la télégraphie. Il avait pris quelques bonnes mesures, lorsque la faillite de l’État vint jeter dans le désarroi toutes les administrations publiques et la France entière.
Les mandats territoriaux avaient remplacé les assignats ; mais la même dépréciation n’avait pas tardé à les atteindre. Un mandat de 100 livres n’était pas reçu sans difficulté, pour une livre en numéraire. Claude Chappe dut prendre, avec douleur, le parti de suspendre les travaux. La section de Strasbourg à Landau fut abandonnée, les ateliers furent dissous. À la fin de l’an V, toute l’administration était disloquée. Les matériaux, abandonnés dans les chantiers déserts, étaient détériorés ou volés ; les employés de la ligne de Lille n’étaient pas payés depuis six mois.
Les lignes télégraphiques allaient disparaître en France, peut-être sans retour, lorsqu’un événement politique bien fortuit vint arrêter leur ruine imminente. Le congrès de Rastadt s’était réuni ; et le Directoire voulait pouvoir en suivre à chaque instant les délibérations. Au mois de brumaire de l’an VI, il ordonna que la ligne télégraphique de Strasbourg serait reprise et terminée d’urgence ; et il eut la bonne précaution, pour assurer l’exécution de sa volonté, de fournir des fonds en numéraire.
Grâce à cette circonstance, le service fut réorganisé, les employés furent rappelés et les travaux repris. Cinq mois suffirent à l’entier achèvement de la ligne, et dans le courant de l’an VI, la ligne de Paris à Strasbourg était terminée. Elle comprenait 46 postes, et avait coûté 176 000 francs.
Nous avons dit que le Comité de salut public avait décidé de prolonger la ligne de Paris à Lille jusqu’à Ostende, notre frontière de Belgique. Le Directoire, pour relier à Paris notre principal port militaire, résolut, au mois de germinal an VI, d’établir une ligne télégraphique de Paris à Brest.
Cette ligne fut construite d’après les données de Chappe, aux frais du ministère de la marine. Elle fut terminée en sept mois. Elle comprenait 55 postes, et coûta 300 000 francs.
Dans l’établissement de cette troisième ligne télégraphique, on avait profité de l’expérience déjà acquise. Les maisonnettes, construites en bonne maçonnerie, contenaient un logement pour les stationnaires. De cinq postes en cinq postes, on installa des stationnaires, plus instruits que leurs collègues, et qui inscrivaient sur un registre les signaux qui traversaient la ligne.
Une quatrième ligne fut ordonnée par le Directoire : elle allait de Paris à Lyon, par Dijon.
Cependant l’état des finances ne s’était pas amélioré sous le Directoire. Les employés étaient toujours mal payés, car en l’an VII leurs appointements étaient en arrière de douze mois. Le service télégraphique était donc encore menacé d’une désorganisation totale ; pour la seconde fois, il paraissait à la veille de sa ruine.
Pour prévenir ce résultat désastreux, le Directoire, le 8 vendémiaire an VIII, sur le rapport du ministre de l’intérieur, prit un arrêté qui mettait à la disposition de ce ministre une somme de 12 000 francs par décade, jusqu’à concurrence de 210 250 francs, passif financier de la télégraphie. Cette mesure devait liquider tout l’arriéré de cette administration.
Les termes de cet arrêté montrent bien, d’ailleurs, quelle importance le Directoire attachait à la télégraphie, comme moyen de faciliter l’exercice du gouvernement. On lit, en effet, dans ce document :
« Que le service des lignes télégraphiques est aussi important au maintien de la République que celui des armées ;
Que s’il est urgent de pourvoir au payement de la solde des défenseurs de la patrie, il ne l’est pas moins de faire payer le montant des appointements qui sont dus aux préposés à la transmission télégraphique ;
Que, si cette mesure est réclamée par la justice et l’humanité, elle était impérieusement commandée par l’intérêt public ;
Et qu’enfin le seul moyen de préserver les lignes télégraphiques de la désorganisation totale est de faire jouir les stationnaires de leur traitement, dont le retard les expose à toutes les horreurs de la misère et les force d’abandonner leurs postes. »
Ce fut là le dernier acte du Directoire, dans ses rapports avec la télégraphie. Ce gouvernement, pendant les cinq années de sa durée, avait pris le plus grand intérêt à l’invention de Chappe. Il avait doté la France de deux grandes lignes et de deux embranchements. Mais il n’avait pu triompher, dans ce cas, pas plus que dans les autres branches de l’administration publique, des embarras financiers, héritage de la période révolutionnaire.
Les consuls eurent peu le loisir de s’occuper des télégraphes, et Bonaparte lui-même n’y songea qu’un peu tard. Il s’appliqua seulement à régulariser ce service, au point de vue administratif. En l’an IX, trois lignes étaient en fonction : celle du Nord, celles de l’Est et de la Bretagne, et l’on construisait, mais avec beaucoup de lenteur, la ligne du Midi, par Dijon et Lyon.
Ces lignes ne rapportaient rien au gouvernement, et nécessitaient, pour l’entretien et le service, des frais qui, en l’an VIII, s’étaient élevés à 434 000 francs. Malgré toutes les promesses du gouvernement, la situation financière de cette administration était de plus en plus mauvaise.
Le premier consul n’y trouva d’autre remède que de réduire considérablement le crédit accordé à la télégraphie. Un arrêté du 3 nivôse an IX, fixa à 150 000 francs le crédit annuel pour le service de toutes les lignes.
C’était une mesure désespérée, qui semblait, une fois encore, annoncer la fin prochaine de la télégraphie française. En effet, la ligne de Lyon fut abandonnée, et le personnel de la télégraphie singulièrement réduit.
Claude Chappe voyait avec chagrin la ruine de l’administration qu’il avait fondée. Dans cette situation extrême, il lui vint à l’esprit une pensée de salut. La télégraphie, qui depuis son origine, n’était pour le gouvernement qu’une source de dépenses, lui semblait pourtant en état de vivre par elle-même. Déjà, sous le Directoire, il avait proposé d’établir une télégraphie privée. Il croyait que les commerçants des villes et de l’intérieur de la France, devaient tirer de très-grands avantages de la connaissance des nouvelles de Paris. Il pensait que si les ports de mer pouvaient signaler dans la capitale ou dans les autres villes, les arrivages maritimes ; si Marseille et Lyon, Brest et Bordeaux, Strasbourg et Lille, etc., pouvaient recevoir, le jour même, l’annonce du cours de la bourse, ou celui du change dans les différentes places, etc., l’administration télégraphique pourrait être largement rétribuée en retour de ces précieuses communications.
Cette idée, que le Directoire n’avait pas eu le loisir d’examiner, Claude Chappe la soumit au premier consul. Seulement il ne se bornait pas à appliquer la télégraphie privée aux besoins du commerce. Il s’adressait, calcul d’un résultat certain, à la plus forte passion des hommes : à la cupidité. Il proposait de signaler par le télégraphe, les numéros sortants de la loterie.
Cette idée était d’autant plus heureuse que la loterie rencontrait en province, une grande cause d’embarras. Il était permis de prendre des billets, dans les villes des départements, jusqu’à l’heure dernière où la liste des numéros gagnants arrivait par la poste, c’est-à-dire plusieurs jours après la clôture officielle des bureaux de Paris, faite après la publication des numéros gagnants. Cette latitude laissée aux bureaux de province, gênait beaucoup l’administration de la loterie, car la fraude trouvait toujours quelque moyen, sinon de connaître les numéros sortis à Paris, du moins de le faire accroire, de sorte que les offices particuliers des départements gênaient considérablement ceux de la capitale.
C’est là ce que fit valoir très-habilement Claude Chappe.
Les administrateurs de la loterie parisienne saisirent avec empressement sa proposition. Bientôt une large subvention fut accordée par la loterie, à l’administration des télégraphes, qui consentit à faire parvenir, le jour même du tirage, les numéros gagnants sur tout le parcours de ses lignes. La loterie trouvait à cela l’avantage de déjouer toute fraude, d’empêcher tout jeu illicite ; et les télégraphes y trouvaient le moyen de subsister que leur refusait le premier consul.
C’est ainsi que Claude Chappe parvint, une fois encore, à prévenir la ruine de la télégraphie. Ce que n’avaient pu obtenir les meilleures raisons politiques et administratives, la passion du jeu, habilement exploitée, permit de le réaliser. La loterie versait habituellement une somme annuelle de 100 000 francs dans les caisses de la télégraphie, et pendant longtemps la ligne de Strasbourg, par exemple, n’eut d’autre ressource, pour ses frais de service et d’entretien, que la subvention de la loterie. Cette subvention a duré jusqu’à la suppression de la loterie par le gouvernement de Louis-Philippe.
(extrait de Wiki source)