ONZIÈME PARTIE

Principes du télégraphe aérien.

  • — mécanisme pour la formation des signaux.
  • — signification des signaux.
  • — le vocabulaire.
  • — inconvénients de la télégraphie aérienne.
  • — la télégraphie de nuit.

Bien qu’il soit aujourd’hui tombé en désuétude, il nous paraît utile de faire connaître avec précision un système de correspondance qui, pendant cinquante ans, a joué en France un rôle considérable. Nous allons donc décrire le mécanisme du télégraphe aérien, et exposer les principes sur lesquels repose le vocabulaire qui s’y rapporte.

Le télégraphe proprement dit, ou la partie de la machine qui forme les signaux (fig. 19), se compose de trois branches mobiles : une branche principale AB, de 4 mètres de long, appelée régulateur, et deux petites branches longues de 1 mètre, AC, BD, appelées indicateurs, ou ailes.

Deux contre-poids en fer p, p′ attachés à une tige de même métal, font équilibre au poids des ailes, et permettent de la déplacer avec très-peu d’effort. Ces tiges sont assez minces pour n’être pas visibles à distance. Le régulateur est fixé par son milieu à un mât ou à une échelle, qui s’élève au-dessus du toit de la maisonnette dans laquelle se trouve placé le stationnaire.

Les branches mobiles sont découpées en forme de persiennes, c’est-à-dire composées d’un cadre étroit, dont l’intervalle est rempli par des lames minces, inclinées les unes au-dessus des autres. Cette disposition a l’avantage de donner aux pièces une grande légèreté ; elle leur permet aussi de résister aux vents et de combattre les mauvais effets de la lumière.

Les branches mobiles sont peintes en noir, afin qu’elles se détachent avec plus de vigueur sur le fond du ciel. L’assemblage de ces trois pièces forme un système unique, élevé dans l’espace, et soutenu par un seul point d’appui : l’extrémité du mât, autour duquel il peut librement tourner.

Les pièces du télégraphe se meuvent à l’aide de cordes de laiton. Ces cordes communiquent, dans la maisonnette, avec un petit appareil, qui est la reproduction en raccourci du télégraphe extérieur. C’est ce second appareil que l’employé manœuvre ; le télégraphe placé au-dessus du toit ne fait que répéter les mouvements imprimés à la machine intérieure.

Le mécanisme qui permet de manœuvrer les branches du télégraphe, se réduit à une large poulie à gorge, sur laquelle est attachée et fortement tendue, une corde de laiton, qui vient s’enrouler sur une autre poulie fixée à l’axe du télégraphe. Quand le levier ab du régulateur du petit appareil placé dans la maisonnette, est abaissé par le stationnaire, la corde de laiton qui tourne autour de ce levier, est tirée, et le bras du régulateur AB du télégraphe mis en action, reproduit le même mouvement.

Quand les leviers ac ou bd du petit appareil de la maisonnette, sont, de la même manière, mis en action, les cordes qui vont de ces petits leviers acbd, aux ailes AC, BD, du télégraphe extérieur, étant tirées, font prendre aux ailes de ce télégraphe la même position.

Tout s’accomplit donc par un jeu de cordes et de poulies, et le stationnaire, sans sortir de sa maisonnette, sans regarder par-dessus sa tête, ce qui lui serait difficile, peut exécuter, à coup sûr, les signaux qu’il doit faire. Le télégraphe placé au-dessus du toit reproduit exactement, comme nous l’avons déjà dit, les signaux de l’appareil intérieur.

Fig. 19. — Télégraphe de Chappe.

Le régulateur AB est susceptible de prendre quatre positions : verticale — horizontale — oblique de droite à gauche — oblique de gauche à droite. Les ailes AC, BD, peuvent former avec le régulateur des angles droits, aigus ou obtus. Ces signaux sont clairs, faciles à apercevoir, faciles à écrire, il est impossible de les confondre.

Voici maintenant les conventions et les principes qui règlent la formation des signaux.

Les frères Chappe ont décidé qu’aucun signal ne serait formé sur le régulateur placé dans la situation horizontale ni perpendiculaire ; les signaux ne sont valables que quand ils sont formés sur le régulateur placé obliquement. Ils ont encore décidé qu’aucun signal n’aurait de valeur, et ne devrait par conséquent être écrit et répété, que lorsque, étant formé sur l’une des deux obliques, il serait transporté, tout formé, soit à l’horizontale, soit à la verticale.

Ainsi le stationnaire qui voit former le signal, le remarque pour se préparer à le répéter, mais il ne l’écrit point ; aussitôt qu’il le voit porter à l’horizontale ou à la verticale, il est certain que le signal est bon, alors il le répète et le note. On appelle cette manœuvre assurer un signal.

Cette manière d’opérer a pour but de bien marquer au stationnaire quel est, au milieu de tous les mouvements successifs des pièces du télégraphe, le signal définitif auquel il doit s’arrêter, pour le reproduire à son tour.

Les diverses positions que peuvent prendre le régulateur et les ailes donnent 49 signaux différents ; mais chaque signal peut prendre une valeur double, selon qu’il est transporté à l’horizontale ou à la verticale : ainsi 49 signaux peuvent recevoir 98 significations, en partant de l’oblique de droite, pour être affichés horizontalement ou verticalement ; de même pour l’oblique de gauche, ce qui donne en tout 196 signaux.

Les frères Chappe ont arrêté que la moitié de ces 196 signaux serait consacrée au service des dépêches, et l’autre moitié à la police de la ligne, c’est-à-dire aux avis et indications à donner aux stationnaires. Les 98 signaux formés sur l’oblique de droite servent donc à la composition des dépêches, les 98 signaux formés sur l’oblique de gauche, ou seulement une partie de ces signaux, sont destinés aux avertissements à donner aux employés.

Fig. 20. — Poste de télégraphie aérienne.

Maintenant, comment ces différents signaux peuvent-ils transmettre l’expression de la pensée ? Les frères Chappe ont consacré 92 des signaux de l’oblique de droite à représenter la série de 92 nombres, depuis 1 jusqu’à 92 ; ensuite ils ont composé un vocabulaire de 92 pages, dont chaque page contient 92 mots. Le premier signal donné par le télégraphe indique la page du vocabulaire, et le second signal indique le numéro porté dans cette page répondant au mot de la dépêche. On peut ainsi, par deux signaux, exprimer 8 464 mots. C’est là le vocabulaire des mots.

Cependant 8 464 mots seraient insuffisants pour traduire toutes les pensées et pour répondre aux cas imprévus ; d’un autre côté, il est des idées qui doivent revenir fréquemment dans le cours de la correspondance. On a donc composé un second vocabulaire que l’on nomme vocabulaire des phrases. Il est formé, comme le précédent, de 92 pages, contenant chacune 92 phrases ou membres de phrases, ce qui donne 8 464 idées. Ces phrases s’appliquent particulièrement à la marine et à l’armée. Il est bien entendu que pour se servir de ce vocabulaire, le télégraphe doit donner trois signaux : le premier pour indiquer qu’il s’agit du vocabulaire phrasique ; le second, pour indiquer la page du vocabulaire, et le troisième, pour le numéro de cette page.

On a créé enfin, sur les mêmes principes, un autre vocabulaire, nommé géographique, qui porte la désignation des lieux.

Après l’année 1830, on refondit en un seul les trois vocabulaires de Chappe, que l’on étendit beaucoup. Les phrases et les mots furent disposés dans un ordre plus simple, qui facilitait considérablement la composition et la traduction des dépêches.

Ajoutons que, pour dérouter les observations indiscrètes, l’administration avait soin de changer fréquemment la clef du vocabulaire.

Quant aux signaux destinés simplement à la police de la ligne, on comprend que l’emploi de tout vocabulaire était superflu. Les signaux formés sur l’oblique de gauche, affectés spécialement à cette destination, étaient connus de tous les employés. Ils exprimaient les avis transmis par l’administration : l’urgence, le but, la destination de la dépêche, les congés d’une heure, d’une demi-heure, l’erreur commise sur un signal, l’absence d’un employé ; en un mot, tous les cas qui peuvent être prévus, depuis l’absence ou le retard d’un stationnaire, jusqu’à la destruction d’un télégraphe par le vent ou la foudre. Ces sortes d’avis parcouraient la ligne avec la rapidité de l’éclair, et l’administration était instruite en un clin d’œil de la nature de l’obstacle rencontré par la dépêche et du lieu précis où elle s’était arrêtée.

La vitesse de transmission des dépêches variait suivant la distance. On recevait à Paris les nouvelles de Calais (68 lieues) en trois minutes, par trente-trois télégraphes ; celles de Lille (60 lieues) en deux minutes, par vingt-deux télégraphes ; celles de Strasbourg (120 lieues) en six minutes et demie, par quarante-quatre télégraphes ; celles de Brest (150 lieues) en huit minutes, par cinquante-quatre télégraphes ; celles de Toulon (267 lieues) en vingt minutes, par cent télégraphes.

Nous compléterons les indications qui précèdent sur un service qui a toujours été très-peu connu, en rapportant quelques pages de l’Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France, par M. É. Gerspach, ouvrage que nous avons eu déjà tant d’occasions de citer.

« Il eût été difficile, dit l’auteur, de se faire entendre des stationnaires, gens pour la plupart illettrés, avec les mots plansanglesdegrés, pour désigner les signaux ; l’inspecteur Durant eut l’idée très-heureuse de donner aux signaux des noms faciles, en rapport avec les positions.

Les angles de 45, 90, 135 degrés de l’indicateur furent désignés par les nombres cinq, dix, quinze, suivis des mots ciel ou terre selon que la position était dans le plan supérieur ou inférieur ; la septième position (l’indicateur replié) fut appelée zéro ; les deux indicateurs au zéro déterminaient le fermé. Quant à la position du régulateur, on l’indiquait par le mot perpen, lorsqu’elle était verticale. Les signaux s’énonçaient en commençant toujours par l’indicateur placé à la partie supérieure pendant la formation du signal. Voici quelques exemples de ce langage : dix ciel quinze terre, — cinq ciel quinze terre perpen, — quinze terre zéro. L’application de la méthode Durant facilita d’une manière étonnante le travail de la transmission, elle était simple et à la portée de tous.

Le service des lignes était admirablement organisé : le passage des signaux, l’indication de la nature des dépêches, la transmission des avis d’interruptions et de dérangements, les incidents, tout était réglé de manière à ne laisser aucun doute dans l’esprit des stationnaires, et à faire connaître immédiatement aux postes de direction la cause et le lieu des arrêts de transmission. Nous ne pouvons entrer ici dans tous les détails de cette organisation ; nous en citerons seulement quelques points.

Dès que l’employé apercevait un signal à l’une des stations correspondantes, il mettait son régulateur en mouvement, lui faisait prendre la position oblique, composait le signal et le portait, tout composé, sur l’horizontale ou la verticale, ce qui s’appelait assurer le signal ; il ne changeait le porté que lorsque le signal était reproduit par le poste suivant. Le passage d’un signal exigeait les opérations suivantes : observer le signal formé par le correspondant, le former à l’oblique, observer s’il est porté sur l’horizontale ou la verticale, le porter de même, l’écrire sur un procès-verbal, et enfin vérifier s’il est exactement reproduit par le poste suivant.

Chaque dépêche était précédée d’un signal particulier, qui était la grande urgence ou la grande activité, quand la dépêche s’éloignait de Paris, et la petite urgence ou la petite activité, quand la dépêche marchait sur Paris. La dépêche précédée de la petite urgence l’emportait sur celle qui était précédée de la grande activité, mais devait céder le pas devant la grande urgence. Ainsi, lorsque deux dépêches se croisaient en un point de la ligne, le signal précédant ces dépêches faisait connaître au stationnaire s’il devait abandonner sa transmission pour prendre celle qui lui arrivait en sens opposé. Si, par exemple, il transmettait une dépêche précédée de la petite urgence, et s’il voyait arriver la grande urgence, il abandonnait son signal, et la dépêche précédée de la grande urgence passait. Après sa transmission, chaque stationnaire reprenait le signal qu’il avait abandonné, et la transmission de la première dépêche continuait.

Il arrivait souvent que la dépêche, étant arrêtée par le brouillard entre deux postes, celui qui cessait de voir son correspondant arborait un signal particulier, brumaire, qu’il transmettait du côté opposé, en le faisant suivre d’un autre signal particulier, indicatif, faisant connaître le poste qui n’était pas aperçu. Chaque employé abandonnait alors le signal de la dépêche pour prendre le signal du brumaire, jusqu’au moment où, le brouillard se dissipant, le poste qui avait arrêté la transmission la reprenait en relevant le brumaire.

Afin de tenir les employés en haleine pendant la durée d’un brumaire, et pour qu’ils fussent toujours présents à leurs postes et prêts à recommencer la transmission, les employés des postes extrêmes avaient ordre, de temps en temps (toutes les quatre ou cinq minutes), de rattaquer, ce qui consistait à reprendre le dernier signal transmis ; chaque employé devait à son tour développer le signal auquel il s’était arrêté : quand ce rattaqué arrivait au dernier poste, le stationnaire transmettait de nouveau le brumaire, qui faisait connaître que la cause de l’interruption subsistait toujours.

Lorsqu’un employé ne prenait pas le signal qui lui était présenté par son correspondant, celui-ci transmettait le signal absence, suivi de l’indicatif du poste. Ces absences étaient constatées sur les procès-verbaux et punies sévèrement.

Il existait d’autres signaux réglementaires, tels que le petit dérangement, qui indiquait un dérangement facilement réparable par le stationnaire lui-même, la rupture d’une corde, par exemple ; le grand dérangement, qui nécessitait la présence de l’inspecteur (ces signaux étaient toujours suivis de l’indicatif du poste où avait lieu le dérangement) ; l’erreur, qui annulait le signal précédent, et l’attente, qui indiquait aux employés qu’ils devaient se tenir prêts à prendre une transmission.

La transmission n’était pas continue sur les lignes ; sur quelques-unes on passait à peine deux ou trois dépêches par jour. Afin de ne pas forcer les employés à regarder constamment à leurs lunettes, on avait des signaux particuliers représentant des congés d’un quart d’heure, d’une demi-heure, d’une heure, etc. Lorsque le congé était donné, l’employé fermait son télégraphe (fermé vertical), et pouvait s’absenter. À l’expiration du congé, les deux postes extrêmes le relevaient en transmettant la grande et la petite activité, ils s’assuraient que la ligne était en bon état, et donnaient un nouveau congé, s’il n’y avait aucune dépêche à transmettre.

Pour exercer les employés sur les lignes peu occupées, on transmettait des dépêches d’exercice. Ces dépêches, toujours précédées de la grande ou petite activité, devaient céder le pas devant les dépêches officielles de la grande ou de la petite urgence. »

Cinquante ans de service ont suffisamment montré les avantages de la télégraphie aérienne ; cependant cette télégraphie avait de nombreuses imperfections, et il nous reste à les signaler.

Les signaux se transmettent à travers l’atmosphère ; par conséquent ils sont soumis à tous les accidents, à toutes les vicissitudes atmosphériques. Les brouillards, les pluies abondantes, la fumée, le mirage, les brumes du matin et du soir, paralysent le jeu du télégraphe aérien.

Claude Chappe avait constaté que, de son temps, le télégraphe ne pouvait fonctionner que six heures par jour, terme moyen. Souvent, pendant l’hiver, on ne pouvait travailler plus de trois heures par jour. Aussi, dans les moments où les dépêches à expédier étaient nombreuses, la moitié de ces dépêches seulement arrivait à destination le jour de leur date. La seconde moitié ne pouvait faire qu’une partie du trajet par le télégraphe ; il fallait en prévenir Paris, qui se décidait à l’expédier par la poste.

Bien que l’on admît, en principe, que le télégraphe pût former trois signaux par minute, en pratique on ne pouvait compter que sur l’arrivée d’un signal, par minute.

Le trouble que les variations de l’atmosphère apportaient au passage des signaux, était donc la difficulté fondamentale de ce système. Qui ne se souvient d’avoir vu, dans les journaux, sous Louis-Philippe, le texte des dépêches télégraphiques terminé par cette formule sacramentelle : « Interrompu par le brouillard. »

Outre le vice fondamental provenant des variations de l’atmosphère, il y avait, dans la télégraphie aérienne, un vice plus sérieux encore. On devine qu’il s’agit de l’absence des signaux pendant la nuit. Le repos forcé du télégraphe pendant toutes les nuits, laissait dans le service une lacune funeste, puisqu’il diminuait de moitié le temps de la correspondance.

Pendant seize heures sur vingt-quatre en hiver, le télégraphe aérien était condamné à l’immobilité. En mai et septembre, il ne pouvait fonctionner que douze heures, et durant les jours les plus longs de l’été, il devait encore se reposer huit heures. Aussi toutes les dépêches que l’on apportait après le coucher du soleil, étaient-elles forcément renvoyées au lendemain. Alors, nulle puissance humaine ne pouvait arracher le télégraphe à son fatal repos.

Aux premières ombres du soir, il avait replié ses ailes ; comme un serviteur paresseux, il dormait jusqu’au lever de la prochaine aurore. Et pourtant de quelle importance n’aurait pas été, en tant d’occasions de notre histoire, l’existence d’une télégraphie nocturne ! L’émeute ou la bataille sont suspendues aux approches de la nuit ; dans ces heures de silence et de trêve, l’autorité publique a le temps d’organiser ses mesures.

Les masses dorment, les chefs doivent veiller ; par leurs soins, sous l’ombre protectrice de la nuit, les ordres s’élancent dans toutes les directions avec la rapidité de la pensée, et le lendemain, quand le soleil monte sur l’horizon, la défense est prête ou l’attaque concertée.

Les données fournies par la science montrent, sous un autre aspect, les avantages de la télégraphie nocturne. La météorologie nous apprend que les nuits limpides sont plus fréquentes que les jours sereins. Presque tous les phénomènes atmosphériques qui, dans le jour, contrarient la transmission des signaux, perdent leur influence pendant la nuit. Jusqu’au lever du soleil, les fleuves, les bois, les marais, cessent de fournir des vapeurs. Le mirage est nul, les brouillards tombent avec le crépuscule. La nuit abaisse les vapeurs que le soleil avait élevées ; la nuit, les villes, les villages, les usines, ne répandent plus de fumée. Le refroidissement du soir précipite, il est vrai, l’eau répandue en vapeur dans l’atmosphère, et la résout en un brouillard léger ; mais ce phénomène ne se passe qu’à quelques pieds du sol, et n’atteint jamais la hauteur des régions télégraphiques.

Il faut remarquer de plus que presque toujours des nuits sereines succèdent à des jours pluvieux, et réciproquement. En supposant donc la télégraphie nocturne établie conjointement avec la télégraphie de jour, il serait difficile que l’intervalle de vingt-quatre heures s’écoulât sans laisser quelques moments favorables au passage des signaux.

Ces considérations ont été si bien appréciées par toutes les personnes qui avaient la main à l’administration des télégraphes, que pendant trente ans on a fait de continuels efforts pour arriver à créer la télégraphie nocturne. Les frères Chappe n’avaient jamais perdu de vue cet objet capital. Leur premier appareil présenté en 1793 à la Convention nationale, était pourvu de lanternes, qui en faisaient un véritable télégraphe nocturne.

Il résulte des recherches assidues auxquelles les frères Chappe continuèrent de se livrer ultérieurement, que le problème de la télégraphie nocturne ne peut se résoudre que par ce moyen : éclairer pendant la nuit, les branches du télégraphe ordinaire. Malheureusement les essais pour cet éclairage ont presque tous échoué, et il est aisé de le comprendre, car les conditions à remplir sont aussi nombreuses que difficiles. Il faut que le combustible employé donne une lumière assez intense pour que la distance des postes télégraphiques ne lui fasse rien perdre de son éclat (cette distance est en moyenne de trois lieues) ; il faut que, sans entretien et sans réparation, cet éclat reste invariable pendant toute la durée des nuits ; il faut que la flamme résiste à l’impétuosité des vents et des courants atmosphériques qui balayent les hauteurs ; il faut enfin qu’elle suive sans vaciller les branches du télégraphe mises en mouvement par les manœuvres.

La plupart des combustibles essayés ont présenté chacun des inconvénients particuliers. Les graisses, les résines, la bougie, donnent peu de lumière et une fumée abondante qui masque et offusque les branches du télégraphe. Le gaz de l’éclairage donnerait une lumière d’une intensité convenable, mais il serait impossible de le distribuer à tous les postes télégraphiques. L’huile ne soutient pas la flamme dans les mouvements de l’appareil : la lumière vacille alors et disparaît par intervalles. Comme nous l’avons dit plus haut, le gaz détonant, c’est-à-dire le mélange explosif des gaz hydrogène et oxygène, fut essayé à l’époque où Napoléon armait le camp de Boulogne et préparait sa descente en Angleterre ; mais les expériences n’eurent pas de suite, en raison de l’abandon du projet d’expédition.

Plus tard le docteur Jules Guyot montra que l’hydrogène liquide, mélange combustible particulier, brûlé dans des lampes de son invention, aurait suffi à toutes les exigences de la télégraphie nocturne. Cependant la pose de ces lampes aurait été, par les mauvais temps, très-difficile ou même impossible, et le projet de M. Guyot fut abandonné.

Le problème de la télégraphie nocturne est loin cependant d’être insoluble. Il a été résolu en Russie, puisque la ligne télégraphique de Varsovie à Cronstadt, établie par M. Chatau, dont nous aurons à parler plus loin, fonctionne de nuit aussi bien que de jour.

Toutefois, il faut le dire, les essais de télégraphie nocturne auraient été poursuivis avec plus de persévérance par les inventeurs, accueillis avec plus de faveur par le gouvernement et les chambres, si des circonstances nouvelles n’étaient venues apporter dans la question un élément d’une irrésistible influence. Pendant que la télégraphie aérienne cherchait péniblement à accomplir de nouveaux progrès, la télégraphie électrique avançait à pas de géant dans la carrière. À partir de ce moment l’intérêt se détourna des progrès et des perfectionnements de la télégraphie aérienne, de plus en plus menacée par sa puissante rivale.

(extrait de Wiki source)