De Jean Boursin – Poste 85 – 1932 – Par Antoine Lefébure
L’émergence de la TSF
Si, selon la définition courante, la téléphonie est l’art de transmettre le son à de grandes distances, la téléphonie sans fil, ou TSF, est un système de transmission utilisant les propriétés des ondes électro-magnétiques. Dans ce dernier quart du XIXe siècle, les recherches sur la TSF vont connaître un bel essor. Les services attendus ne défient-ils pas, il est vrai, les imaginations les plus folles ? L’appellation des appareils porte du reste la marque de cette frénésie inventive : photophone, thermophone, etc. En 1882, William Preece utilise le sol comme conducteur d’ondes électriques. Avant lui, la TSF s’était employée à domestiquer l’arc chantant ou arc voltaïque. Discrets mais attentifs, les états-majors observent ces tâtonnements plus ou moins géniaux, quand ils ne les encouragent pas directement. Reste néanmoins que par conformisme, l’armée française ne fait guère montre d’audace scientifique dans ce domaine précis. Et, conséquence quasi obligatoire, au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, son équipement en TSF fait pâle figure, sur le plan quantitatif, en comparaison à celui dont dispose l’Allemagne. A la TSF, les métropoles européennes doivent le maintien d’un certain ordre impérial. Que l’outil de communication se détériore, et l’émetteur d’instructions de se retrouver soudainement muet ; c’est alors, sur les territoires lointains, un équilibre de forces, par ailleurs bien fragile, susceptible de basculer à tout instant. La TSF militaire révèle, enfin, un trait de mentalité propre à un corps professionnel et qui perdure au fil des ans : l’état-major français, en matière de communication, se meut souvent à l’inertie. Les équipements disponibles fonctionnent ? Fort bien, ils seront remplacés à l’occasion. Ce qui confère généralement à nos armées un temps de retard. Un temps seulement. Car rendons-lui acte : sitôt la crise ouverte, l’armée sait innerver ses pôles d’innovation, investissant massivement et comblant alors son retard. A la fin du XIXe siècle, quatre hommes de génie donnent naissance à la TSF. Heinrich Hertz, qui produit des ondes électro-magnétiques à partir d’un oscillateur ; Edouard Branly, qui construit les premiers radio conducteurs ; Alexandre Popov, à qui l’on doit la première application publique de TSF ; et Gugliemo Marconi, qui construira des émetteurs et des antennes de TSF. Le 27 mars 1898, le capitaine Ferrié, délégué militaire du gouvernement français, est chargé de rendre compte des essais de TSF faits par Marconi entre la France et l’Angleterre. Peu de temps après, et à partir des expériences de Branly, le ministre de la Guerre confiait au jeune capitaine la mission de développer les applications militaires de la TSF. Les moyens dont il dispose sont dérisoires. Pourtant il multiplie les inventions, il innove. On doit à son équipe, entre autres, le détecteur électrolytique et le détecteur à galène.
Détecteur électrolytique
Détecteur à galène
Les systèmes d’émission et les antennes de réception font l’objet d’études pour assurer des liaisons fiables entre les places fortes. La TSF militaire assure ainsi, le 8 mai 1902, une liaison d’urgence entre la Guadeloupe et la Martinique ravagée par l’irruption de la montagne Pelée. Par la suite Gustave Eiffel offrira au ministre de la Guerre la tour qui porte son nom, pour qu’elle serve de support d’antenne de TSF, ce qui sera fait en 1903. Cinq baraquements en bois s’élèvent bientôt sur le Champ-de-Mars et quatre fils d’antenne relient le sommet de la tour aux arbres de l’avenue de Suffren.
La tour Eiffel et son concepteur Gustave Eiffel
Bien vite, la marine nationale saisit tout l’intérêt qu’elle peut retirer des expériences de l’équipe de Ferrié. A ce dernier, le lieutenant de vaisseau Tissot propose d’émettre de la tour Eiffel un service permanent de transmission de signaux horaires destinés aux navires de la flotte française. Nous sommes en 1905, le projet est accepté par le bureau des longitudes.
Des essais de transmissions télégraphiques depuis la tour Eiffel
Cette même année, la guerre russo-japonaise, qui témoigne certes des faiblesses de la Russie tsariste, va également mettre en évidence l’importance stratégique de la TSF. La flotte de l’amiral Togo, dûment équipée de récepteurs de TSF et d’antennes Yagi, surprend en effet les cuirassés russes accourus de la Baltique par une manœuvre originale. Au lieu de livrer bataille en lignes, ordre imposé par la nécessité d’échanger des signaux à vue, les Japonais, coordonnés par radio, traversent de part en part la ligne russe qu’ils bousculent. Malgré leur dispersion et la visibilité médiocre, ils portent des coups coordonnés et décisifs contre l’escadre de Nicolas II. En 1911, année de la création de l’École supérieure d’électricité qui formera les officiers du service des transmissions, l’essentiel du service porte sur les bulletins météorologiques. En butte au septicisme de l’armée de terre, Ferrié persévère. Pour vaincre la pusillanimité ambiante, il installe un émetteur mobile de TSF sur une automobile, réussissant ainsi des liaisons sur plus de cent kilomètres. Grâce au général Ferrié, aidé par la commission centrale de TSF de la marine de guerre, les premières sociétés du Domaine (Carpentier, Gouffe, Rochefort) sont parvenues à se réunir pour fonder la Compagnie générale de radiotélégraphie (CGR). La Société française radioélectrique n’allait pas tarder à apparaître à son tour, les deux groupes conjuguant leurs capacités dans l’effort de guerre commun.
Le Général Gustave Ferrié
Suite à la partie 2
73 de Jean-Luc Desgrez – F5NKK