Il n’y a donc en France que deux systèmes de télégraphes, l’un à cadran et à lettres, l’autre à deux cadrans et à deux aiguilles susceptibles chacune de huit positions. Il n’y a point jusqu’à présent de télégraphes-imprimeurs : s’il m’était permis de me prononcer là-dessus, je pense que notre système actuel sera longtemps suffisant pour l’activité probable des transmissions usuelles, et pour aller plus vite, il serait peut-être plus avantageux d’opérer avec un double système de fils et de cadrans que de pousser un seul appareil à des vitesses qui excluent toute sûreté dans les signaux transmis.

Je ne fais aucun doute que d’ici à peu d’années la France, qui a déjà profité de l’expérience de l’Angleterre et de l’Amérique, aura établi des règles sûres pour guider tous les établissements futurs de télégraphie électrique. Il me semble qu’un bureau consultatif qui serait mis à même de provoquer des recherches expérimentales sur les points embarrassons de la pratique télégraphique servirait beaucoup au perfectionnement ultérieur et à la bonne exécution de tous les procédés actuels, en même temps qu’il aviserait aux moyens de remédier à toutes les causes de perturbations qui peuvent altérer la marche de ces admirables instruments. Pour n’en citer qu’un exemple, comment se fait-il que le monde entier ne soit pas encore fixé sur le mérite relatif du système des fils portés sur des poteaux ou déposés sous terre avec une enveloppe de gutta-percha, et comment ce procédé qui traverse les mers n’a-t-il pas réussi dans la jonction de l’observatoire de Paris à la station centrale du ministère ?

Tout le monde sait qu’en Amérique on a fait un usage merveilleux du télégraphe électrique pour fixer la position des lieux en longitude. Au commencement de 1854, le télégraphe électrique nous donnera toutes les longitudes de France avec une admirable précision. Depuis l’établissement du câble sous-marin. M. Arago en France et M. Airy en Angleterre désiraient relier les observatoires des deux nations au moyen de la transmission d’un signal électrique. Cette jonction des deux principaux observatoires du monde, si facile aujourd’hui, avait déjà donné lieu à des travaux antérieurs très pénibles et offrant des résultats peu concordants. Des astronomes français et anglais, MM. Herschel, Largeteau, Sabine et Bonne, s’étaient envoyé des signaux des deux côtés de la Manche au moyen de fusées lancées à plus d’un kilomètre de hauteur sur les deux rivages opposés du détroit et observées en même temps dans les deux pays. Le signal électrique sera infiniment plus sûr et plus commode, et depuis quelques jours l’astronome royal d’Angleterre a fait savoir qu’il était en mesure de transmettre des signaux d’un observatoire à l’autre. À l’observatoire de Paris, M. Arago et la télégraphie du ministère de l’intérieur étaient prêts depuis plusieurs mois. La différence des temps entre l’observatoire de Paris et celui de Greenwich est considérée aujourd’hui comme étant de neuf minutes vingt et une secondes et demie. Il sera curieux de voir si les anciennes méthodes seront trouvées en défaut par l’infaillible électricité et de combien ! Au reste on ne se figure pas ordinairement le peu d’espace qu’il suffit de franchir pour changer les heures. Rouen et Paris diffèrent de cinq minutes, en sorte qu’une montre réglée à Paris avance de cinq minutes quand on la porte à Rouen, et dans Paris même, deux points très rapprochés, par exemple le Luxembourg et l’École polytechnique, diffèrent déjà de trois secondes de temps, dont la pendule bien réglée au Luxembourg retarde sur la pendule également bien réglée à l’École polytechnique. Un compteur transporté d’un de ces points à l’autre montre tout de suite ce désaccord. À l’occasion de ce qui se fait dans d’autres pays, j’aurai encore à signaler plusieurs des particularités d’établissement et de fonctionnement de la télégraphie française. Quant à la vitesse, que les anciens attribuaient à l’agent physique de la foudre, qui depuis a été reconnu identique avec l’électricité ordinaire, c’est sans doute, en voyant un éclair sillonner tout d’un coup une vaste étendue de nuages qu’ils ont pu juger de sa vitesse de transmission, Car ils ne possédaient aucun des moyens de mesurer le temps qui ont permis d’attaquer de nos jours ce difficile problème.

En Angleterre, la Compagnie de télégraphie électrique a beaucoup étendu ses opérations dans ces dernières années. Il y avait, aux derniers mois de 1852, au-delà de trois cents stations pourvues de télégraphes électriques, et l’une après l’autre toutes les administrations de chemins de fer ont senti la nécessité d’adopter cet utile auxiliaire. Aux principales stations commerciales des employés sont en fonctions nuit et jour. On compte au moins cent stations pareilles, et dans les autres moins importantes, les dépêches ne se transmettent que de jour. La longueur des routes occupées télégraphiquement était, au mois d’août dernier, de 5 à 6,000 kilomètres ; mais depuis cette époque, cette distance s’est considérablement accrue. En la portant à 8,000 kilomètres, on serait sans doute encore au-dessous de la réalité. Le lecteur voudra bien se rappeler que le kilomètre français est tout juste la quarante-millième partie du contour de la terre, en sorte que les fils anglais font aujourd’hui en longueur la cinquième partie du contour de notre planète. Une seule compagnie a employé 4,000 kilomètres de fil de fer galvanisé, et elle a cédé à d’autres entreprises une partie de ses droits, moyennant arrangement pécuniaire.

Dans le télégraphe anglais, les fils sont ordinairement d’un sixième de pouce de diamètre (un peu plus de 4 millimètres). Nos fils français ont à peu près la même dimension, savoir 4 millimètres. On a couvert tous les fils d’une mince couche de zinc par un procédé galvanique, pour les préserver de l’oxydation. Six kilomètres et demi d’un pareil fil, anglais ou français, pèsent à peu près une tonne, c’est-à-dire 1,000 kilogrammes. Les poteaux qui supportent les fils, un peu plus rapprochés qu’en France, sont espacés de 60 mètres et garnis de pièces de porcelaine ou d’autres substances isolantes, pour que le fil ne touche pas immédiatement le bois du poteau, ce qui ferait perdre une partie du courant. La forme de ces pièces fait qu’elles sont abritées en dessous contre la pluie. À des intervalles de 400 mètres environ, il y a des appareils pour tendre ou relâcher les fils au degré convenable. En France, le même espace est de 500 mètres. Le grand nombre de fils que l’on aperçoit le long des principales ligues de chemins de fer n’est pas nécessaire pour la transmission d’un message. Un simple fil peut y suffire ; mais les autres servent à diverses correspondances spéciales pour les diverses stations.