Si, avec une carte devant les yeux, nous traçons les diverses routes suivies par cette télégraphie électrique, nous trouvons que le télégraphe ne connaît pas les questions de territoire, de pêche, ou de nationalité anglaise ou américaine. Halifax et Saint-Jean sont unis par le télégraphe aussi bien que Montréal et le Bas-Canada avec les rives du lac Champlain, et de là avec New-York et Boston. Enfin, dans les états du nord aussi bien que dans l’Amérique britannique, nous trouvons un réseau des plus compliqués de lignes télégraphiques qui se coupent en tout sens. Sur plusieurs routes et entre les mêmes villes, il y a deux et même trois entreprises rivales. Dans les états du sud, les télégraphes électriques, comme toute autre espèce d’entreprise commerciale, sont moins développés que dans le nord, ce qui n’empêche pas les nouvelles commerciales apportées à New-York par les paquebots de Liverpool d’arriver à la Nouvelle-Orléans en 20 minutes, par une ligne électrique ou plutôt par deux lignes électriques de près de 3,000 kilomètres de long ! C’est encore M. Charles Olliffe qui me fournit cette donnée curieuse. Ces fils, que les Américains du Nord trouvent peu nombreux, traversent néanmoins le Maryland, la Virginie, les deux Carolines, la Géorgie et atteignent le golfe du Mexique. C’est surtout dans les états du centre et de l’ouest que le télégraphe électrique est quelque chose d’étonnant ! non qu’il égale en longueur ceux des états de l’est, mais c’est qu’il contraste étrangement avec l’état à demi civilisé de ces localités, il y a très peu d’années. Non-seulement dans l’Ohio, le Kentucky, le Tennessee et l’Alabama, mais encore plus à l’ouest, où naguère on ne voyait que des Indiens sauvages, chassant aux fourrures, les appareils le plus essentiellement du domaine exclusif de la pensée se rencontrent partout. Les compagnies électriques vendent leur longitude (quelle denrée commerciale !) aux villages qui seront dans quelques années d’immenses cités, car la population américaine, dans ces fertiles vallées, essaime sur place indépendamment de l’émigration qu’elle reçoit d’Europe et ailleurs de Chine. Que dire d’un pays où la ligne électrique de Philadelphie à la Nouvelle-Orléans, d’environ 3,000 kilomètres, est desservie par deux compagnies totalement distinctes ? Quant au total de longueur des fils télégraphiques, on l’évalue de 18,000 à 25,000 kilomètres : c’est plus que la moitié du tour de notre planète Sur ces énormes distances, il faut compter le Canada comme faisant un dixième du total, ce qui ne laisse pas moins pour les États-Unis un développement fabuleux, qui de jour en jour prend encore un rapide accroissement.
On a peu fait au Mexique pour la télégraphie électrique. On parle d’un fil allant de Mexico à Acapulco, sur le Pacifique, et, dans l’est, traversant le Texas pour rejoindre la Nouvelle-Orléans ; mais il n’y a pas grand’chose à attendre d’une république si pauvre et si désorganisée. La proposition faite d’un câble sous-marin de la Floride à Cuba semble devoir arriver plus tôt à bonne fin, surtout si l’on songe aux vues persévérantes des États-Unis sur l’annexion de Cuba.
L’importance des télégraphes de l’ancien monde est tellement dépassée par celle des télégraphes d’Amérique, qu’il n’y a aucune comparaison à faire. C’est particulièrement dans la transmission des nouvelles commerciales et politiques que brille le génie télégraphique américain. La première nouvelle transmise de New-York à Washington, en 1846, fut celle d’un vaisseau lancé à la mer, à Brooklyn, en face de New-York, nouvelle destinée à l’insertion dans les journaux de Washington. Comme les dépenses étaient lourdes, on n’insérait alors que peu de nouvelles transmises électriquement ; mais le grand intérêt qui s’attachait à la guerre du Mexique et la rapide transmission des nouvelles de victoires réitérées mirent le télégraphe électrique en grande faveur. Quelque temps après, les journaux de New-York et de Boston se cotisèrent pour obtenir le plus tôt possible les nouvelles d’Angleterre. Dès que les paquebots anglais touchaient à Halifax, un exprès était envoyé à Annapolis, et ensuite un autre exprès à vapeur partait pour Portland, d’où le télégraphe transmettait les nouvelles à Boston et à New-York. Ce système coulait environ 5,000 francs par paquebot, mais l’extension des chemins de fer et des télégraphes dans l’est a beaucoup diminué ces frais.
Quelque temps après, il s’organisa un corps de gazetiers électriques, qui bientôt inventèrent un chiffre sténographique des plus abrégés. M. Jones, l’un de ces sténographes, donne un exemple pour montrer la prodigieuse abréviation que produit cette diplomatie électrique. Supposons le message composé des neuf mots suivants : Bad, came, aft, keen, dark, ache, lain, fault, adapt. Ces mots, traduits en langage ordinaire, comprennent les renseignements commerciaux que voici : « Le marché à la farine pour les qualités communes ou même bonnes venant de l’ouest est peu actif. Il y cependant quelques demandes pour la consommation intérieure et l’exportation. Vente, 8,000 barils. Le genessee est a 5,12 dollars ; le froment en première qualité est bien tenu et demandé ; la seconde qualité est faible avec tendance à la baisse. Vente 4,000 boisseaux à 1,10 dollars. Pour les autres céréales, les nouvelles de l’étranger ont pesé sur le marché. Aucune vente importante n’a eu lieu. Il n’y a eu que 2,500 boisseaux livres à 67 centièmes de dollar. » On ne peut pas pousser plus loin l’économie des signes et celle de la transmission qui se paie par mots.